Interview de Jonathan Bricker par Steven Hayes à l’occasion des 1 million de vues sur YouTube pour la conférence TEDx de Jonathan. (https://contextualscience.org/jonathan_brickers_tedx_talk_about_the_secret_to_se Traduction Institut de Psychologie Contextuelle, 2016)

STEVE : Un million de vues. C’est de loin la vidéo qui présente la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) la plus vue à ce jour. Qu’est-ce que ça fait de passer ce point ?

JONATHAN : C’est exaltant. C’est formidable pour nous tous. Je n’aurais jamais imaginé en toucher un si grand nombre de personnes. Ça a été une grosse surprise.

STEVE : Quels ont été tes plus grands défis pour rendre ta conférence aussi efficace ?

JONATHAN : Trois défis principaux. Le premier a été de raconter une histoire sur le programme d’essais cliniques de mon équipe de rechercher au centre Fred Hutch. La deuxième a été raconter l’histoire d’une thérapie comportementale fondée sur les principes d’une théorie du langage. Et le troisième a été de parler du tabagisme et de l’obésité comme des problèmes de santé publique. La recherche, les interventions cliniques et les problèmes de santé publique sont difficiles à rendre attrayant pour le grand public. Pourtant, je crois fermement que c’est une de nos obligations de scientifique. Nous devons être en mesure de raconter nos histoires à un large public, de démontrer à tous la valeur de la science.

STEVE : Beaucoup de gens qui nous lisent en savent probablement beaucoup sur l’ACT ou la flexibilité psychologique, mais peut-être pas autant sur ton travail en tant que tel. Pourrais-tu expliquer brièvement le message central de ta conférence TEDx ?

JONATHAN : Le tabagisme et, dans une certaine mesure l’obésité, sont les causes de décès prématuré et de souffrance humaine les plus aisées à prévenir. Et ce sont d’énormes problèmes dans le monde entier. Les programmes traditionnels de modification du comportement vous enseignent à éviter vos envies de fumer ou de manger. La science montre que cette approche n’est généralement pas utile à long terme. Mon équipe de recherche au Fred Hutch a montré que le modèle de l’ACT est très prometteur pour cesser de fumer et nous conduisons une nouvelle étude sur la perte de poids. Le message central : c’est que l’acceptation pourrait bien vous aider à arrêter de fumer ou à perdre du poids. La prochaine fois que vous avez une envie, dites à haute voix : « J’observe que j’ai la pensée que j’ai une envie irrésistible de fumer là maintenant. » Je voulais que les spectateurs essayent ça et voient si ça les aidait.

STEVE : Dans ta conférence, tu chantes « Turn it off » (« N’y pensez plus »), une chanson de la comédie musicale The Book of Mormon. Pourquoi chanter une chanson et pourquoi celle-ci ? Ça t’a semblé risqué ?

JONATHAN : Oui, c’était risqué. Je n’avais jamais chanté devant un tel public auparavant. Je n’ai jamais appris, et je ne savais pas comment le public allait réagir. Même ma femme ne savait pas que j’allais chanter. Mais les chansons sont un puissant moyen de communiquer des idées et des concepts, de les rendre compréhensibles et mémorables. L’ACT peut sembler dense et bizarre alors j’ai pensé qu’une chanson pourrait offrir un raccourci vers l’essentiel.

L’histoire derrière cette chanson, c’est que j’avais vu le Book of Mormon quelques mois auparavant et avais adoré le spectacle. Lorsque le personnage de l’Ancien McKinley a chanté la chanson avec son message naïf mais bien intentionné de supprimer les mauvaises pensées, j’ai immédiatement vu le lien avec l’ACT et avec les travaux de feu Dan Wegner de Harvard sur les intentions paradoxales. Wegner avait conduit des recherches élégamment conçues sur les effets paradoxaux de chercher à supprimer intentionnellement ses envies de fumer qui démontraient que cela prédisait un plus grand risque de rechute. Fondamentalement, c’est ce qui arrive quand vous dites aux gens de ne pas penser à un ours blanc.

STEVE : Certains spectateurs qui ne sont pas familiers avec l’ACT se diront probablement qu’il s’agit simplement de pleine conscience. Que manqueraient-ils en pensant ça ?

JONATHAN : C’est parfaitement normal pour quelqu’un qui connait la pleine conscience de faire le lien avec ma conférence TEDx. Et s’ils n’ont pas lu sur l’ACT, je peux voir comment ils pourraient se dire : « Oh, c’est de la pleine conscience. » Je pense que c’est un phénomène cognitif de base : lorsque nous voyons quelque chose pour la première fois, nous cherchons immédiatement des liens avec ce que nous connaissons. C’est ainsi que nous cherchons à comprendre. En fin de compte, je pense que c’est formidable de faire cette comparaison parce que ça permet aux gens de voir la valeur de la psychologie (quelle que soit la forme qu’elle prend) pour atténuer les souffrances humaines. Et qu’en fin de compte c’est ça le but.

Maintenant, il y a certainement des différences fondamentales entre l’ACT et la pleine conscience. Avec l’ACT, il s’agit de consentir à avoir ses pensées, émotions, sensations, au service de poursuivre ce qui compte dans votre vie — vos valeurs. En parallèle, Jon Kabat-Zinn définit la pleine conscience comme prêter attention délibérément, dans l’instant présent, et sans jugement. Il y a donc des similitudes et certainement le plus important à comprendre c’est que, dans l’ACT, la pleine conscience n’est qu’une des nombreuses voies qu’une personne peut emprunter pour poursuivre ses objectifs de vie.

Il existe de nombreuses routes qui mènent à l’acceptation. Une de celles que j’illustre dans la conférence est la défusion, se décrocher ou se distancer de ses pensées. « J’ai la pensée » est un exercice de défusion, et bien sûr un autre exercice classique de l’ACT est l’exercice de Titchener de répéter un mot à haute voix pendant 60 secondes ou jusqu’à ce qu’il devienne un simple amas de sons. Très puissant.

STEVE : Ta conférence TEDx a été vue par un million de personnes dans le monde. C’est un succès étonnant, même en cette ère de YouTube. À ton avis, quelles sont les qualités qui ont rendu ta conférence si efficace ?

JONATHAN : Les conférences TEDx sont des activités bénévoles, faites avec amour. J’ai pensé à la façon dont la conférence pourrait servir les spectateurs. Que voulais-je leur offrir ? Ce que j’ai conclu, c’est que je voulais leur conter une histoire sur mon équipe de recherche en science comportementale du Fred Hutch qui touche leurs cœurs. Leur montrer notre passion pour cette recherche. Cette vision m’a conduit à combiner des faits sur un important problème de santé publique à des histoires de ma vie, puis de nouveau à la décrire la science, puis à revenir aux histoires de personnes que nous avons aidées. Fondamentalement, ce qui a fonctionné a été de passer de la tête au cœur et retour.

Comme canaux de communication, j’ai utilisé plusieurs tons de voix et formes d’expression corporelle. Vous pourriez faire toute une analyse de mon non verbal avec le son coupé. Enfin, j’ai écouté attentivement les mots que j’ai choisis, comme je le fais pour toutes mes conférences. J’aime le sens et les sons des mots. Quand j’avais 16 ans, mon père m’a donné un livre intitulé « Choisissez le bon mot. » M’en servir a eu une profonde influence sur ma façon d’écrire et de parler en public et m’a enseigné à apprécier les nuances de la langue. Des mots bien placés peuvent enrichir la texture de nos idées.

STEVE : Lorsqu’on met une conférence comme celle-ci en ligne, elle touche de nombreuses vies et parfois des gens entrent en contact avec vous et ils touchent votre vie. Peux-tu partager une anecdote ou deux concernant comment et pourquoi des gens qui ont été touchés par ta conférence sont entrés dans ta vie ?

JONATHAN : Presque chaque jour, je reçois des courriels de gens du monde entier et je m’assure de répondre à chacun d’entre eux. Il y a tellement d’histoires touchantes de personnes qui veulent améliorer leur vie, arrêter une habitude, et qui trouvent espoir dans le message de la conférence.

Il y a deux correspondances que je relis pour m’inspirer. L’une provient d’une femme au Ghana, qui est un pays sur la côte ouest de l’Afrique. Elle a écrit que là où elle vit elle n’est pas exposée aux idées de la psychologie. Les ressources sont si rares que « lorsque l’électricité est coupée dans un hôpital, les médecins doivent opérer sur les patients à la lumière de leur téléphone portable. » Elle m’a dit qu’elle a utilisé plusieurs des techniques de la vidéo, y compris en imaginant une partie de tir à la corde avec un monstre, et : « J’ai la pensée. » Elle m’a dit que ces techniques l’ont aidée à contrôler sa consommation de boissons gazeuses, car elle s’inquiétait d’un risque de diabète. Nous avons correspondu plusieurs fois au sujet d’autres méthodes qu’elle pourrait utiliser pour répondre à ses envies pressantes de nourriture et rester centrée sur ce qui compte pour elle. J’ai adoré à pouvoir l’aider, dans une partie reculée du monde dans le besoin, et lui offrir la sagesse clinique tirée de nos recherches.

L’autre venait d’un célèbre guitariste dont j’ai promis de taire le nom. Il m’a écrit une belle histoire à propos de sa vie avec le tabac. Il a commencé à fumer avec d’autres musiciens à l’âge de 18 ans, pour se sentir appartenir au groupe, et c’est lentement devenu une partie de son identité et de son image publique. Au début de la trentaine, il a réussi à arrêter pendant un moment… jusqu’à ce cette fois où il avait joué en Irlande et buvait un verre avec des amis après le spectacle. « Je vais en fumer deux-trois ce soir et ce sera tout, » se dit-il à lui-même. Et puis : « Je me suis remis à fumer, comme avant. » Pour s’arrêter complètement, il a compris qu’il avait besoin de « s’analyser lui-même. » Il s’est rendu compte que fumer servait plusieurs fonctions : « l’image de soi » et « la chimie, la nicotine elle-même. » La partie la plus difficile de cesser de fumer n’est pas la nicotine. Ça modifiait son image parce que, pour lui, qui était-il sans fumer : « Que faire avec mes doigts ? » Ou : « Puis-je écrire une chanson sans fumer ? » Pour le savoir, il a dû faire l’expérience de ses envies comme s’il « allait dans un endroit où il y avait une absence… Et l’absence a été l’endroit où j’ai pu me redéfinir moi-même, un jour à la fois, une minute à la fois. »

Son histoire m’a frappée à plusieurs niveaux. Elle illustre avec éloquence la trajectoire d’un si grand nombre de personnes qui fument : commencer pour être comme les autres, la pente glissante des pensées comme : « Je vais juste en fumer une ou deux » à : « Je refume. » J’ai apprécié qu’il ait cessé de chercher à l’intérieur à se comprendre lui-même. Il a fait sa propre version d’une analyse fonctionnelle. Et la meilleure partie est qu’il a brisé ce que l’ACT appellerait son soi-comme-concept, cette histoire étroite que nous avons dans notre tête au sujet de qui nous sommes. Il indique clairement que c’était son soi-conceptualisé de fumeur qui était le principal obstacle à cesser de fumer. Je pense que c’est un aspect clé de la dépendance, et dont on parle trop rarement. Il rompt avec ce soi-conceptualisé en restant dans le moment présent, à changer « une minute à la fois. » J’aime quand je reçois un joyau comme celui-ci qui parle si profondément du fond de la conférence en contant simplement une histoire personnelle dans ses propres mots.

STEVE : Tu rends hommage à ta maman au début de la conférence. Je sais qu’elle est décédée un an plus tard. A-t-elle eu une chance de la voir et si oui, peux-tu nous dire ce qu’elle en pensait ?

JONATHAN : Ma mère l’a vu plusieurs fois, la dernière étant quand elle était à l’hôpital quelques jours avant qu’elle ne décède. Elle a été touchée par la conférence et par mon hommage. Elle était une personne privée portée à l’autodépréciation. Pas une personne qui acceptait ou offrait facilement des compliments. Elle a simplement dit : « Et bien, c’était très agréable » à sa manière typique de la Nouvelle-Angleterre.

STEVE : Sa disparition a-t-elle changé pour toi le sens de ta conférence TEDx ?

JONATHAN : La conférence était mon hommage à elle (et à mon père, qui l’apprécie aussi). Son décès a fait que cet engagement a encore plus de sens pour moi. C’est un témoignage permanent de ce que je ressens pour elle, comment elle était inspirante, et combien je l’admirais. La conférence est comme un rappel pour moi d’incarner l’esprit de son héritage dans mon travail et ma vie.

STEVE : L’Association for a Contextual Behavioral Science (ACBS) favorise le développement de l’ACT et des méthodes parentes. Ta conférence TEDx, c’est un exemple concret de quelque chose dans la communauté ACBS qui a un énorme impact sur le public. Quel impact crois-tu que ta conférence TEDX a eu sur la communauté ACBS mondiale ?

JONATHAN : Je pense que dans l’ensemble, ma conférence TEDX a participé à répandre ces principes de base de la communauté ACBS : (1) répondre de manière flexible à nos envies, émotions et pensées — avec acceptation et d’ouverture, (2) la compassion envers nous-mêmes et les autres, (3) l’application de ces principes à d’importants problèmes de la souffrance humaine, et (4) donner une haute valeur à la méthode scientifique et aux tests rigoureux de ces principes.

La conférence TEDx a permis à ces principes de base de rencontrer un public mondial, à l’intérieur comme à l’extérieur du monde de la psychologie. Amérique du Nord, Europe, Asie, Australie, Afrique. Des gens de partout, de tous les milieux. Je les invite souvent à visiter le site de l’ACBS, à rejoindre la liste de discussion « ACT for the public ». Les livres que je recommande, écrits par des membres de la communauté ACBS sont :

 

Livres grand public sur l’ACT

Le Bonheur piège par Russ Harris

Penser moins pour être heureux : Ici et maintenant, accepter son passé, ses peurs et sa tristesse par Steve Hayes

Livre grand public pour l’addiction
The Wisdom to Know the Difference by Kelly Wilson

Livres grand public pour la perte de poids
The Diet Trap by Jason Lillis
The Weight Escape by Anne Bailey and colleagues

 

Je reçois des courriels de thérapeutes ACBS qui disent qu’ils invitent leurs clients à regarder la conférence pour les aider à en apprendre davantage sur le modèle ACT ou pour les aider à comprendre comment l’appliquer pour changer leurs habitudes.

Et je reçois des courriels de professionnels qui veulent en savoir plus sur l’ACT dans leur travail clinique ou dans leurs recherches scientifiques. Pour eux, je recommande souvent de venir aux congrès de l’ACBS et aux prochains ateliers dans leur région, ou des livres comme Acceptance and Commitment Therapy, édition de 2014. Au fait, dans ma conférence TEDx, je faisais référence à l’édition de 1999. La conférence a eu un impact sur les adhésions à l’association, la participation aux ateliers et aux conférences, et sur l’engagement global dans notre communauté.

Donc je dirais que l’impact global de cette conférence TEDx sur la communauté a été assez important

STEVE : Qu’en est-il de ta base ? Parle-nous du Fred Hutch et de l’impact que ta conférence y a eu.

JONATHAN : Le Fred Hutch est un raccourci pour le Fred Hutchinson Cancer Research Center, un institut de recherche sans but lucratif indépendant basé à Seattle, État de Washington. Trois lauréats du prix Nobel en sont issus. Sa mission est de mettre fin au cancer en tant que cause de souffrance humaine et de mort. Nous sommes financés par les subventions hautement compétitives du National Institutes of Health et par des dons privés. Mon équipe de recherche fait partie d’un des plus importants et plus anciens programmes de prévention du cancer mondial. La conférence TEDx permet d’augmenter la visibilité de l’impact de la recherche comportementale du Fred Hutch pour prévenir le cancer au moyen d’interventions de modification des habitudes comme l’arrêt du tabagisme et la perte de poids.

STEVE : Merci du temps que tu nous as accordé et encore bravo pour ta conférence TEDx

JONATHAN : Merci. J’espère que ça fera une différence.