Magie de Facebook : Un de mes amis a récemment eu la joie de retrouver Lucie*. Quand ils avaient 20 ans, ils étaient les meilleurs amis du monde. Puis, ils s’étaient perdus de vue depuis plus de 30 ans. Le bonheur éprouvé en la revoyant a été bien vite terni quand Lucie a partagé que sa vie était engluée dans les séquelles d’un traumatisme d’enfance. Quand ils étaient des amis tout juste sortis de l’adolescence, Lucie n’en parlait pas. Aujourd’hui, elle peut enfin en parler. Mais le poids du passé est toujours là, bien présent. Il pèse sur sa vie et sur chacun de ses choix, comme un gros sac de peurs et de découragement.  

La vie est dure. Elle est même parfois vraiment dure. Lucie en sait quelque chose. Des choses épouvantables peuvent nous frapper de plein fouet. Notre intégrité physique, morale ou sexuelle peut être violentée. Des proches que nous aimons de tout cœur peuvent nous être arrachés dans des circonstances cruelles, inconcevables, absurdes. Parfois, la blessure est intérieure. Comme quand nous n’avons pas reçu l’amour et le soutien inconditionnel dont chaque enfant a besoin. La vie est fragile. Nous sommes si facilement blessés. On peut souffrir des suites d’un trauma pendant des dizaines d’années. Comme un gardien de prison de mauvaise humeur, le passé peut nous garder enfermés dans un vie toute croche et étriquée. La liberté inconditionnelle de ce qu’on souhaite vraiment vivre reste au-delà des hauts murs. 

J’ai déjà écrit sur le trauma. Dans ce blog, je vous propose de regarder ce qu’on peut faire quand, aux suites d’une mauvaise expérience, on a l’impression que rien ne pourra jamais redevenir comme avant. Le traumatisme vécu peut être immense : violence de guerre, agression sexuelle, accident de la route, abus physiques ou psychologiques et même certaines ruptures amoureuses. Parfois, il est d’une telle ampleur qu’il bouleverse complètement notre vision du monde et de nous-mêmes. Dans de tels cas, c’est notre compréhension de la vie qui est déchirée et jetée à terre. Il y a un avant, et il y a un après. Face à ces expériences, il est normal de souhaiter que notre vie d’avant nous soit rendue. Il est normal de souhaiter retrouver ce monde perdu : meilleur, plus innocent et surtout où ça n’était pas encore arrivé. Comme la baleine de Jonas, un tel désir peut nous avaler tout entier. Et notre vie peut languir dans les replis de son estomac sombre pendant des années. Dans la baleine, on perd son chemin à  tenter à tout prix d’éviter ce qui pourrait nous rappeler l’événement traumatique. On peut aussi se lancer dans des poursuites judiciaires ou administratives. Parfois, on s’enfonce dans de longues années de thérapie. Derrière tout ça, l’espoir de voir la blessure se refermer définitivement, le souhait que tout redevienne comme avant.  

Mais au fond de soi, on le sait bien. Rien en sera jamais plus jamais comme avant. La bonne nouvelle, c’est qu’on peut sortir du ventre de la baleine et de retourner vers soleil de la vie. Le plus dur, c’est le plus essentiel : apprivoiser le fait que rien ne sera jamais plus comme avant. Aucun effort n’arrivera à effacer la trace du trauma. Il y a de bonnes chances que la plaie reste à jamais sensible. Réaliser cela, ça n’est pas se résigner. C’est même ce qui va permettre de créer enfin un espace dans lequel construire la vie qu’on choisit. Ce choix ne se fait pas en dépit du passé, mais avecle passé. Avec ses blessures, ses souvenirs, ses douleurs et ses regrets.  

 En accueillant avec bienveillance et compassion le malheur qui nous a frappés ainsi que son écho toujours actuel, on peut retrouver la lumière du jour. Afin qu’il  n’obscurcisse plus nos choix présents. C’est ainsi que Lucie pourra construire une vie qui cessera d’être définie par son trauma. C’est comme ça qu’elle pourra enfin devenir la personne qu’elle veut être, plutôt que celle que son passé a abîmée. La thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) peut aider à faire de la place aux traumas passés afin de bâtir aujourd’hui et demain une existence riche de sens, hommage vivant aux blessures passées. Pour les anglophones, nous recommandons Finding Life Beyond Trauma, de Victoria Follette et Jacqueline Pistorello.  

  * Nom modifié pour préserver l’anonymat de la personne