Massacre à Québec

PUBLIC – GÉNÉRAL

Au lendemain du massacre dans une mosquée de Québec

Face à l’horreur des gestes fous politiquement motivés, la psychologie contextuelle a-t-elle quelque chose à dire? On m’a demandé d’écrire ce blog alors que mon esprit ne ressent que de la confusion et le besoin de reculer face à l’horreur. Comme si cela n’avait rien à voir avec moi, avec nous. Mais ça à voir avec moi, et avec nous. Ma compassion va aux victimes, à toute une communauté qui est visée, ma peur d’une spirale de violence, ma colère pour les conditions qui peut-être ont nourri cela.

Un déséquilibré passe à l’acte sans raison, ou bien, est-ce le résultat de quelque chose de plus profond et de plus proche de nous? Le saura-t-on jamais? La psychologie contextuelle nous invite à examiner plus largement le contexte. Les sources de l’intolérance et de la violence aveugle dirigée contre toute une communauté, les musulmans, ou contre une civilisation, l’Occident, sont-elles à trouver dans le mal incarné par une religion foncièrement fanatique ou une civilisation d’essence satanique? Ici les refus de visas, les bombardements chirurgicaux de drones téléguidés de l’autre bout du globe, là-bas les attaques sanguinaires qui ciblent délibérément les civils. Des deux côtés un discours déshumanisant, une volonté de désigner l’autre comme moins qu’humain, irréductiblement autre.

Le contexte, c’est les éléments géopolitiques, les héritages empoisonnés du colonialisme, de l’ingérence dans des sociétés qu’on ne laisse pas évoluer sans tutelle impériale, la course aux ressources énergétiques. C’est le blowback d’avoir soutenu telle ou telle faction extrémiste dans jeux idéologiques et géostratégiques qui réduisent peuples et sociétés à des rôles de pions à sacrifier. C’est aussi avoir cherché à imposer par la force les valeurs des droits de l’homme à des sociétés qui ne les avaient pas encore pleinement choisies — pour finir peut-être par nous-même abandonner nos propres valeurs dans la recherche illusoire de la sécurité absolue.

Mais c’est plus proche de nous encore et bien plus profond. Dans chaque mouvement intérieur de déshumanisation de l’autre et, ultimement, de nous-mêmes ; dans chaque imposition que nous faisons aux autres, nos proches, nos enfants, nos élèves et à nos administrés plutôt que de travailler à encourager ce qui fonctionne, à soutenir les progrès, à offrir et nourrir des choix. Quand nous devenons incapables de reconnaître notre humanité commune dans l’autre, quand avoir raison prime sur vivre ensemble, quand la force prend le dessus. Quand on privilégie s’éloigner, construire des murs plutôt que s’approcher, se retrouver les uns dans les autres, se comprendre, se pardonner, s’accepter et ensemble évoluer vers plus de compréhension et de douceur. Et si j’étais toi, là-bas dans cet autre moment, que ressentirais-je ?

Nous savons déjà où conduit la déshumanisation systématique de l’autre. Le 20e siècle nous l’a appris. Voici revenu le temps de la peur, de l’autre inhumainement autre, de ceux qu’il faut éliminer du fait d’où ils sont nés, de ce qu’ils croient, ou de ce qu’ils pensent. Trouver en nous les sources de cette déshumanisation et de son pendant, la passivité face à la stigmatisation et l’exclusion, c’est reconnaître que notre présent problème est éminemment humain.

La technologie d’aujourd’hui nous donne accès à l’horreur instantanée. Il nous faut une psychologie qui nous permette d’accueillir avec compassion et acceptation nos ressentis et nos pensées les plus noires et extrêmes, afin de nous offrir les moyens de ne plus les laisser dominer nos comportements et nous enfoncer dans une spirale mortifère pour notre humanité et pour l’humanité toute entière. L’Association for Contextual Behavioral Science (ACBS) est née de la réalisation du 11 septembre, l’avenir de l’humanité passerait par le développement d’une psychologie plus adaptée aux défis de la condition humaine, c’est vrai aujourd’hui plus que jamais.

S’il y a un espoir, il repose en nous tous. En notre capacité à faire face à nos pensées, à remettre en question nos certitudes, à oser réfléchir différemment. Nous pouvons apprendre. Il est possible, toujours possible de choisir agir d’une autre façon. Les valeurs ne peuvent véritablement s’imposer ni même se défendre — à soi pas plus qu’aux autres. Nous pouvons, tout au plus, choisir de les incarner, par chacune de nos actions et chacun de nos mots. C’est ce qui m’anime chaque jour et c’est ce que l’ACT nous enseigne avec amour et compassion.